DÉMARCHE
ARTISTIQUE

C’est au début des années 90, suite à une étape marquante de ma vie, que je m’investis davantage dans l’expression picturale. Pendant plus d’un an, je dessine et je peins spontanément des personnages sur de grands formats de papier « kraft ». Mes sujets sont souvent des femmes réunies autour d’une discussion, dans un salon ou sur une terrasse. Cette période charnière déclenche chez moi le goût de pousser plus loin mon exploration. C’est ainsi qu’au cours des dix années suivantes, je suivrai tour à tour des cours de peinture, de collage et de modèle vivant. Mes premières expériences en présence d’un modèle ont été éprouvantes, parce que mes esquisses s’avéraient différentes de celles des autres. Je me retrouvais devant des corps chétifs, surdimensionnés ou dysmorphiques ; ils me surprenaient et me questionnaient sans toutefois me freiner, mais je me sentais marginale.

Inscrite ensuite à l’Atelier du geste où l’expression libre est valorisée, je laisse alors mon geste prendre ancrage en développant mon imaginaire. C’est à ce moment-là que des personnages de la scène apparaissent tout naturellement … sans doute comme ceux que j’ai d’abord côtoyés au cours de mon enfance. Des souvenirs, associés au quatuor de mon père et ceux de ma mère assise au piano se réveillent, se déploient puis cèdent la place à d’autres âmes d’artiste.

Dans mes tableaux, j’explore l’univers fascinant de l’être humain. En décodant le langage corporel de divers personnages évoluant dans le cadre de leur vie artistique, je tente de capter leur essence. C’est souvent lors d’un concert, d’un spectacle de danse, d’une pièce de théâtre ou même parfois d’un film, que je griffonne des personnages sur-le-champ, comme pour capturer immédiatement ce qui me séduit et pourrait m’échapper. Comme autre source d’inspiration, j’utilise aussi parfois certaines photos du passé et d’autres images qui évoquent ou symbolisent quelque chose pour moi.

Peindre, c’est pour moi une rencontre à l’aveugle avec chacun de mes personnages. À mes yeux, l’être humain porte une certaine fragilité, une souffrance inédite. Le corps n’est-il pas un abri pour l’âme ? Ces corps écorchés, asymétriques ou frêles semblent parfois nous rappeler notre propre douleur, notre finitude et par conséquent peut-être même une certaine urgence de vivre. Mes personnages s’imposent à moi et certains sont plus difficiles à apprivoiser que d’autres. Ils reviennent toujours. Je ne sais pas exactement comment ils apparaissent et s’incarnent, mais je parlemente avec chacun d’entre eux, jusqu’à les aimer. Ma toile devient alors un lieu de questionnement autant pour moi que pour un visiteur ; une invitation à s’arrêter, à ralentir, à méditer.